04 setembro 2004

TOWARD METALINGUISTICS II

L’AUTONOMIE ESTHÉTIQUE COMME PRODUIT DU CAPITALISME BOURGEOIS
- Marc Jimenez
“La conquête de l’autonomie esthétique s’inscrit dans le mouvement plus général de libération vis-à-vis de l’ordre ancien. Cette tendance apparaît, à nos yeux, comme aussi irrésistible que celle qui conduit au capitalisme bourgeois, au libéralisme et à la constitution d’un espace public ouvert à la critique.
"Lorsque nous parlons d’autonomie esthétique, grandement favorisée par l’apparition du terme d’esthétique appliqué à une discipline particulière, nous ne faisons référence, somme toute, qu’`a um moment de cette évolution et donc, également, `a une simple tendance. L’autonomie réelle, pleine et entière, ne s’est jamais réalisée et n’existera sans doute jamais, pás plus aujourd’hui que demain. Si ele était possible – ce que nous ne croyons pas – elle ne serait sans doute pas souhaitable.
"En effet, la simple tendance à l’autonomie comporte un risque majeur : celui de la constituition d’une sphère esthétique totalement séparée de la vie quotidienne. À trop revendiquer son indépendence, l’artisan s’est mué en artiste, placé sur un piédestal, célébré comme génie, doué d’un talent surhumain. Mais voir en lui un être d’exception , à mille lieues des préoccupations du commun des mortels, c’est aussi le considérer comme un être à part. Exclusion bénéfique pour ceux dont l’oeuvre est reconnue et célébrée, mais néfaste pour les artistes qui n’accèdent pas à la notoriété. L’image de l’artiste raté est l’autre face du mythe de l’artiste génial, de celui qu’on peut tantôt encenser ou tantôt vilipender, ou bien simplement ignorer, parce que son statut particulier le coupe de la vie quotidienne.
"Cette ambiguïté est identique à celle qui affecte la sphère esthétique dans son ensemble. Reconnaître l’esthétique comme discipline à part entière atteste bien l’existence d’un domaine particulier, lié à la sensibilité, qui obtient enfim un droit de cité officiel au même titre que les diverses sciences. Comme celles-ci, elle participe au savoir at à l’accroissement des connaissances. Mais, dans le même temps, ce nouveau statut traduit une volonté de ‘scientificiser’ l’univers du sensible, autrement dit une tentative de rationaliser, de théoriser et de conceptualiser un monde d’affects, d’intuition, d’imagination, de passion, rebelle à toute forme de contrôle ou de coercition. Comme s’il importait de canaliser dans l’ordre de la raison des forces qui, sinon, risqueraient de porter préjudice à cet ordre même ! Ambiguïté lá aussi qui survit, depuis, dans la conscience comtemporaine, surtout lorsqu’on évoque la finalité de l’esthétique : à quoi sert-elle ?
"L’autonomie de l’art et l’autonomie de l’esthétique – certes jamais réalisées et toujours en projet - peuvent fort bien, même dans leur état précaire, se retourner contre les intérêts de l’un et de l’autre. Le mot sphère, qui sert parfois à les désigner, est lui-même équivoque : la sphère est délimitation, territoire, mais aussi refuge. Ce refuge les protège de la réalité extérieure, tout en preservant cette même réalité des attaques que les oeuvres pourraient diriger contre elle. Un artiste peut tout faire, une oeuvre peut tout exprimer, même des choses considérées comme subversives et dangereuses pour la société dès lors que leur statut à part leur garantit l’impunité. Isolées du réel, inoffensives, l’ordre social et politique peut les tolérer sans denger pour son équilibre."
- In: QU’EST-CE QUE L’ESTHÉTIQUE?, COl. FOLIO/ESSAIS, ÉDITIONS GALLIMARD, 1997, pp. 92-93.

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